Universités d'été à Saint-Nectaire : Extraits de Cours

 



 

Propos sur la prière.

 

Extrait de la session de juillet 2018, animée par Monseigneur Germain, Recteur de l'Institut

et Archevêque de l'Eglise catholique orthodoxe de France,

et dont le thème général était : « La pureté du coeur et la vitalité de l'esprit ».

 

 

 


Selon saint Denys l’Aréopagite,  « la prière est la racine de la connaissance immatérielle  ». Son but consiste à amener l’homme à connaître Dieu, et à Le connaître intimement. Le royaume des cieux est au-dedans de nous, et ce royaume, c’est l’intimité réciproque entre l’homme et Dieu.

Dans la Genèse, dans le jardin d’Eden, l’homme dit à Dieu : « J’ai entendu ton pas dans le jardin », ce qui dénote une intimité entre lui et Dieu. On peut dire de la prière qu’elle donne à entendre le pas divin. De temps en temps, nous entendons. Ceci est très subtil, comme le prophète Élie qui entend le souffle léger du Saint-Esprit.

Avec la prière, il s’agit de connaître Dieu « en esprit et en vérité », de L’adorer et d’être son intime. Connaître « en esprit et en vérité », c’est associer l’intelligence et le cœur.

Saint Basile le Grand, dans l’Hexameron (Commentaire sur les 6 jours de la Création), dit que les passions enténèbrent l’intelligence. Il faut s’en purifier afin de voir. Notre véritable intelligence est émotionnelle (et non passionnelle) : c’est une intelligence associée au cœur, qui allie le discernement et l’expérience, la vérité et le sentiment, pour être selon l’économie du Verbe qui est plein de grâce et de vérité.
Il convient de se purifier des passions et des soucis, comme le chante l’hymne de procession dans la liturgie byzantine : « Laissons tous les soucis de ce monde ». Notre âme se doit d’être ouverte à Dieu, non soumise aux influences.

La prière ouvre le chemin divin, par confiance que l’on est aimé de Dieu. Il y a l’amitié d’un Dieu qui veut à la fois nous conférer la vérité et en même temps le caractère gracieux. La prière embellit ceux qui prient.

Si telle est l’œuvre de la prière (car la réalité est indicible et doit être expérience), quel est l’instrument de la prière ? C’est nous, et nous tout entier : corps, âme et esprit, tout autant que nous en tant que personne. Non seulement notre sentiment, notre volonté, notre intelligence (la nature humaine que nous partageons avec tous), mais aussi notre personne (unique entre tous).

Quand le Christ prie (c’est en quelque sorte notre starets), il « utilise » son instrument, disant par exemple : « Mon âme est triste à en mourir » et « Père, Je remets mon esprit entre tes mains ». Notre âme, notre esprit, nous sont confiés ; nous n’en sommes pas propriétaires. Il faut distinguer mon âme, mon esprit, mon corps, et moi-même. Maître Eckhart appelait l’esprit la « fine pointe de l’âme ». Non ! Pour la vie spirituelle, il convient de distinguer âme et esprit. Cette distinction est le commencement de la vie intérieure.

Jésus prie alors qu’Il est clairvoyant, alors qu’Il est Fils de Dieu ; Il entre en prière fréquemment (Lc 3,21 ; Lc 5,16). Il passe toute une nuit en prière ; Il dit à Pierre qu’Il a prié pour que sa foi ne défaille pas… Il n’est pas un fantôme ; Il est un homme réel ; Il prie naturellement, simplement, en tant qu’Il est homme, car la prière est nécessaire à l’homme pour connaître Dieu.

« Celui qui a purifié son corps par la tempérance, qui, par l’amour divin, a fait de ses volontés et de ses désirs une occasion de vertu, celui qui présente à Dieu un esprit purifié par la prière, acquiert et voit en lui-même la grâce promise aux cœurs purs. » (Saint Grégoire Palamas, Les Triades).

Au départ de la vie de prière, on ne sait quoi penser et quoi faire. Il faut s’alimenter pour se donner du dynamisme. Il faut s’ancrer sur l’Évangile qui contient les arguments de la vérité et les motifs de l’esprit. Il faut joindre l’Évangile avec la prière, et on commence ceci avant d’être purifié. Telle est la caractéristique des saints : le courage qui consiste à commencer et à continuer.

En matière de piété, il n’est pas toujours nécessaire d’être trop exact dogmatiquement. 
Certains disent : « Tout est Dieu » ; théologiquement, c’est faux car Dieu est partout, mais tout n’est pas Lui. Pour rentrer en rapport avec Dieu, certains sont obligés de se dire que tout est Dieu, cela les aide psychiquement à entrer en rapport avec Dieu.

Un autre exemple est donné par Monseigneur Jean, dans la Technique de la Prière, où il s’adresse à l’Esprit-Saint disant : « Aime-Toi Toi-même en moi ! ». Selon l’esprit, c’est faux, c’est un peu hérétique, c’est du narcissisme. Pragmatiquement, c’est juste. Le pragmatisme individuel dans la prière est tout à fait convenable et même indispensable. Ce qui est bon et beau en prière, c’est ce qui vous réussit. Et ce qui est bien pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre.

Ce qu’il faut, c’est la fidélité. Fidélité que l’on peut définir comme la passion pour la vérité révélée. Dieu sait bien que l’homme n’est pas fidèle, c’est pourquoi Il lui demande la fidélité. Dieu reste toujours fidèle au peuple hébreu malgré ses infidélités. Il convient d’être passionnément fidèle, car c’est pour notre salut. Et en plus, il faut s’attacher à la pureté de la vérité, même si la vérité n’est pas consubstantielle à nous, même si elle nous contredit.

Pour prier, il faut se déranger pour aller vers Dieu, accepter son imperfection, allier l’inexactitude du cœur en cherchant la vérité par l’esprit.

Nous chantons : « Que toute chair humaine fasse silence... ». Par chair, il faut entendre le corps, l’âme et l’esprit de l’homme réel. Nous disons avec saint Jean que « le Verbe s’est fait chair ». Le mot grec sarx ici utilisé veut bien dire la matière, le corps de l’homme. Mais il faut ici comprendre que le Verbe s’est fait homme « jusqu’à la chair ». La matière en soi n’existe pas. La matière ne dépend pas de l’esprit et l’esprit ne dépend pas de la matière. Les deux dépendent de Dieu et les deux se compénètrent : de ce fait, nous ne sommes ni matérialistes, ni spiritualistes, nous sommes des êtres priant Dieu. Notre prière devra tenir compte de tout ceci, du siècle, des conditions de vie.

Dans l’approche de Dieu, quelle vitesse prendre ? Il convient d’être lent, la vitesse est cause de chute. Et il est bien de prier longuement. Même le Christ faisait de longues prières. Mais dans l’action, il faut être rapide et se décider. Pendant l’Avent, nous répétons souvent que le Christ vient. Et on attend longtemps, des millénaires, avant qu’Il ne vienne. Et ensuite l’action du Christ est rapide (à peine un peu plus de trente ans). Dieu s’approche lentement de l’homme (car l’homme n’est pas prêt) et l’homme s’approche lentement de Dieu. Mais l’action doit être rapide. Il faut aller, décider. Prenez une décision, et Dieu rectifiera si la voie n’est pas la bonne.

La direction initiale de l’homme est la suivante : l’esprit de l’homme s’alimente à Dieu, l’âme devrait s’alimenter à l’esprit, le corps devrait s’alimenter à l’âme et à l’esprit. Mais le péché (« mal viser », selon l’un des sens de ce terme en grec) a entraîné une autre direction : l’esprit s’est coupé de Dieu ; devant s’alimenter, il se nourrit dans l’âme, la parasite, se confond avec elle en apparence ; l’âme parasite le corps ; et le corps parasite le cosmos. Comme l’esprit est absolu par rapport à l’âme, il perturbe l’âme par sa puissance, il l’épuise, il absolutise les énergies de l’âme par ses propres énergies la faisant défaillir au lieu de la vivifier. Et l’âme épuise le corps. Et le corps fait deux choses : il refuse de se nourrir à l’âme jusqu’à en mourir, ou bien il impose à l’âme ses propres passions.

Il y a nécessité d’une métanoïa, ce qui veut dire retournement de l’esprit. Il faut revenir à l’homme spirituel, revenir à la direction initiale, à savoir que l’esprit se nourrisse de Dieu. On ne peut pas tout retourner vers Dieu, alors on commence par l’esprit, et aussi par le psychique en disant à son âme : « Mon âme, tais-toi ». Alors on fait taire provisoirement le psychique et le physique et on exerce l’esprit à retrouver sa direction et sa source. De manière simple, on se retourne vers la Divine Trinité, comme dans la liturgie où l’on commence par : « Bénie soit la Sainte Trinité… », et un beau jour, la Trinité se manifeste.

L’imagination, le plus souvent, vient de l’âme qui cherche à se dépasser ; mais l’âme ne peut pas se dépasser d’elle-même. Elle ne peut que combiner, et elle combine avec le corps. Il faut faire attention aux fausses extases, par exemple celle du moine qui est dans un feu faussement spirituel, une extase psychique, et qu’une folle en Christ qui a bien discerné vient éteindre avec un seau d’eau qu’elle lui jette dessus pour le réveiller de son imagination, ou encore celle du coureur à pied qui s’oublie et se dépasse dans l’effort physique. Les images données par les vrais mystiques sont d’une autre nature ; elles sont réelles car ils « voient ».

Les ascèses physiques sont utiles pour accompagner la prière. Le jeûne est utile pour dompter le corps, il lui met des limites et il permet à l’esprit de se retourner. Ensuite le corps sera capable de porter le divin. Celui qui ne jeûne pas devient incapable de dépister la présence des esprits maléfiques en lui. Comme le corps est dompté, le spirituel apparaît, le bon et le mauvais.

Le jeûne bouddhiste ou hindou est une ascèse pour dégager l’esprit du corps et de l’âme.
Le jeûne chrétien consiste à retourner l’esprit vers Dieu.

Le premier jeûne apparaît quand Dieu demande à l’homme de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance. Dieu veut ainsi poser à l’homme cette question : « Quelle est ta préférence ? La connaissance ? Ou Dieu, ou ma présence ? ».

Il convient ainsi de prier avec l’esprit, en installant dans le corps seulement la tempérance et en faisant taire son âme. L’esprit ici est ce qui, dans l’homme, peut rentrer en contact direct avec Dieu par la prière. La prière est l’élévation de l’esprit vers Dieu, et cet esprit est aussi émotif et intelligent.

L’esprit, tourné vers Dieu, est la porte d’entrée pour découvrir la personne.